Rhéologie du manteau lithosphérique : la fine couche qui change tout

Rhéologie du manteau lithosphérique : la fine couche qui change tout

Le LG-ENS vient de contribuer à une avancée majeure dans la compréhension des processus de déformation du manteau terrestre, plus précisément de sa partie supérieure, comprise dans la lithosphère rigide et dont les mécanismes de déformation sont encore mal compris. L’étude, menée par une équipe internationale dans le cadre de l’ERC TimeMan est publiée dans la revue Nature.

C’est Julien Gasc, ingénieur de recherche au laboratoire qui avait, lors d’un post-doc à l’Université de Montpellier, déformé expérimentalement des échantillons d’olivine synthétiques, représentatifs des roches du manteau terrestre. Ces échantillons ont ensuite été analysés en microscopie électronique par des équipes de l’Université de Lille et d’Antwerp en Belgique. Ce que les chercheurs ont découvert n’avait jusque-là jamais été observé : une fine couche de matière amorphe, omniprésente entre les grains d’olivine, et qui n’était pas présente dans les échantillons avant leur déformation.

Pour comprendre pourquoi cette observation avait pu échapper aux précédentes études, il faut prêter attention aux images de microscopies. Cette couche est en effet tout au plus épaisse de quelques dizaines de nanomètres, soit environ 2 000 fois plus fine qu’un cheveu. Mais sa présence change la donne. Car si, aux conditions du manteau lithosphérique, les grains d’olivine ne peuvent que très peu se déformer, ils peuvent en revanche glisser les uns par rapport aux autres pour accommoder la déformation de la roche : ce film amorphe apparu entre les grains sert en quelque sorte de lubrifiant. Il présente en effet la même composition que les grains d’olivine eux-mêmes et atteste avoir permis d’accommoder du glissement aux joints de grains.

Images obtenues en microscopie électronique en transmission. a) Échantillon déformé à 1200 °C, 300 MPa en presse Paterson. b) Échantillon déformé à 1000 °C, 5 GPa en presse multienclumes. © V. Samae

Les auteurs montrent que la présence de ce film amorphe a de grandes implications pour la déformation du manteau terrestre à grande échelle, car ses propriétés mécaniques changent grandement avec la température, et donc avec la profondeur. Comme toute matière amorphe (du verre par exemple), il est rigide et cassant en dessous d’une certaine température, mais visqueux et fluide au-delà. La présente découverte implique que cette transition contrôle, au moins en partie, la rhéologie (le comportement mécanique) du manteau lithosphérique. Le ramollissement de cette très fine couche intergranulaire serait le déclencheur de la transition mécanique entre la lithosphère et l’asthénosphère.

En savoir plus
Stress-induced amorphization triggers deformation in the lithospheric mantle
Vahid Samae, Patrick Cordier, Sylvie Demouchy, Caroline Bollinger, Julien Gasc, Sanae Koizumi, Alexandre Mussi, Dominique Schryvers & Hosni Idrissi
Nature 591, pages 82–86 (2021)

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