Championnat du monde féminin

Championnat du monde féminin

Mon récit de ce championnat du monde féminin en République Tchèque : 3 semaines intenses de vols avec des météos très variables mais favorables à la réalisation de belles épreuves.

Ma deuxième participation à un mondial.

Ce mondial féminin était pour moi le deuxième, puisqu’il y a deux ans je défendais les couleurs de la France au Danemark, à Arnborg. Une première expérience en catégorie « club » très instructive pour moi, avec un planeur que je connais par coeur désormais, le Hornet « H1 » prêté par la Fédération Française de Vol à Voile. Nous avions disputé des épreuves dans des conditions météo globalement humides avec des vents forts. Nous sommes habitués à ces masses d’air océaniques avec très peu d’inertie, à évolution rapide, en Bretagne notamment. Avec ma coéquipière Amélie Audier, qui a plus d’expérience que moi, nous terminions respectivement 4ème et 10ème sur 17 pilotes en classe club. Nous avons eu l’honneur d’être sélectionnées ensemble à nouveau pour concourir au mondial 2017 à Zbraslavice en République Tchèque.

         

Des entraînements réguliers et une préparation anticipée

Un championnat du monde de planeur se prépare largement en amont de la compétition en elle-même. En effet, cela nécessite une logistique bien organisée : préparation du planeur et optimisation du centrage par rapport aux limites de masses imposées par la catégorie dans laquelle on vole, réglages techniques, configuration des enregistreurs de vol, préparation des cartes, prise de connaissance des espaces aériens et surtout une phase essentielle mais toujours perfectible de réglage du vol d’équipe. En compétition internationale de Vol à Voile, nous volons effectivement en paires ou à 3 dans chaque catégorie afin de partager les informations (météo, intentions, décisions, concurrence…) grâce à la radio. Chacune dans un planeur, en volant non loin l’une de l’autre, voire côte à côte (en « patrouille »), nous explorons un volume plus important de la masse d’air et statistiquement traversons plus de zones favorables en mutualisant l’information. Cela permet de voler plus vite, notre objectif dans le cadre de ces courses de vitesse.

Après deux semaines d’entraînement en France avec le Pôle Espoir et le Pôle France planeur, nous prenons la route de la République Tchèque avec nos indispensables équipiers et les remorques dans lesquelles sont confortablement rangés nos planeurs. Deux jours de route pour venir au bout des 1600 km qui nous séparent de Zbraslavice, village où se situe l’aérodrome du championnat, 55 km au Sud-Est de Prague. Nous arrivons volontairement 6 jours avant la première épreuve afin de pouvoir voler lors des journées d’entraînement, régler notre routine journalière avec les crews qui gèrent les aspects techniques au sol, nous imprégner de la masse d’air locale et bien sûr surveiller les concurrentes! La région est extrêmement vallonnée, les collines ont une faible longueur d’onde, et la présence de grandes forêts et de lacs rend certaines zones non posables en cas de besoin. Heureusement, la République Tchèque est parsemée de terrains de planeur et d’aviation, ce qui nous met plus en confiance.

Dès les premiers vols de repérage, nous constatons que la masse d’air est excellente mais très hétérogène du fait de la diversité des reliefs et des contrastes de nature des sols : plutôt humide au-dessus des lacs et des grandes rivières, s’asséchant dans la plaine située à l’Est et plafonds de la couche convective toujours plus hauts sur les reliefs pouvant culminer à 1000 m à l’Ouest et au Sud avec la frontière slovaque. Outre les très bonnes ascendances thermiques que nous exploitons sous les cumulus jusqu’à 2000 m sol, nous observons des phénomènes météorologiques très locaux comme des assèchements de la masse d’air (disparition des cumulus) ou des étalements du sommet des cumulus en voiles d’altocumulus lorsque l’humidité est trop importante au-dessus de l’inversion de température. Ces hétérogénéités de la masse d’air imposent de savoir changer de rythme de vol, c’est-à-dire de moduler notre vitesse de transition en fonction de ce que nous observons devant nous, sur le parcours. Si les conditions semblent se dégrader devant, nous ralentissons pour conserver de l’altitude c’est-à-dire du temps pour retrouver une prochaine ascendance. Au contraire, si nous volons vers une zone plus favorable, nous accélérons pour bénéficier plus rapidement des meilleu res conditions (meilleurs ascendances) et augmenter notre vitesse moyenne. Il nous faut aussi nous habituer au rythme tchèque car nous sommes 1500 km plus à l’Est avec le même fuseau horaire, notre routine est donc décalée 1h30 plus tôt qu’en France, nous décollons à 11h plutôt qu’à 13h, et nous posons vers 17-18h, heure de fin de convection…

        

Nous faisons 3 journées de vols d’entraînement sans prendre le départ des circuits proposés afin de ne pas nous mettre en difficulté avant la compétition et nous passons aussi au contrôle technique afin de peser nos planeurs avec et sans pilote et vérifier que tous les dispositifs de sécurité requis -notamment anticollision- sont fonctionnels à bord.

Débriefings d’épreuves

Dimanche 21 mai, premier jour de compétition, la routine du championnat est bien installée au sein du groupe, et nous sommes motivées pour attaquer les 2 semaines de compétition qui nous attendent. Premier briefing : présentation de la plateforme, rappels sécurité en complément de la documentation que toutes les équipes ont lu au préalable. Puis le tchèque en charge de la météo quotidienne passe à la météo du jour : cela commence toujours par une description générale de la masse d’air avec une carte des pressions à 500 hPa afin de localiser les centres d’action (dépressions, anticyclones, marais barométriques) sur l’ensemble de l’Europe et ainsi estimer le flux général en altitude, ce qui donne déjà une bonne idée de l’état de la masse d’air (convective, instable, affaissée…). Puis une carte de surface nous permet de nous situer par rapport aux fronts pour préciser vents et couverture nuageuse à tous les étages. Des sondages issus de ballons-sondes à proximité de l’aérodrome et dans la zone de vol donnent des informations clés pour préparer l’épreuve : altitude de la base des c umulus (= plafond) s’il y en a ou sommet de la couche convective si pas de nuages convectifs, présence éventuelle de nuages moyens et élevés auxquelles il va falloir faire attention car ils masquent l’ensoleillement et réduisent la force des ascendances thermiques, et évolution de la force et de la direction du vent avec l’altitude. Des logiciels de prévision dédiée au vol à voile délivrent également des cartes haute résolution de la fraction de cumulus en octas, de l’altitude du plafond et même de la force des ascendances thermiques! De quoi tailler une épreuve dans les zones les plus favorables et faire une distance aussi grande que permise par la météo du jour et maximiser le nombre de points de l’épreuve.

Après le briefing journalier, nous nous réunissons avec les autres pilotes et l’entraineur pour décider de la stratégie du jour en fonction des conditions météo. La stratégie correspond au type de vol : stratégie conservative (rester haut) voire défensive si les ascendances sont faibles et peu nombreuses, alors qu’en cas de bonnes conditions nous passons en mode « attaque », c’est-à-dire qu’on sélectionne plus les thermiques et qu’on transite plus rapidement. Lorsque les conditions météo sont excellentes – typiquement 2000 m de plafond avec 2 à 6 octas de cumulus et des thermiques à 3-4 m/s en moyenne – nous pouvons espérer voler entre 90 et 110 km/h, ce qui nous fait voler à 150-170 km/h en transition, tandis que parfois les ascendances sont si faibles qu’on transite seulement à 120 km/h et qu’on vole à 60 km/h sur l’ensemble du circuit… A partir des prévisions météo nous estimons notre vitesse moyenne sur le circuit donné, qui nous donne la durée de réalisation du circuit. En combinant cette dernière donnée avec l’heure de fin de convection, nous obtenons l’heure limite de départ que l’on ne doit pas dépasser sous peine de rentrer difficilement – voire ne pas rentrer du tout – au terrain. Puis au regard du classement général nous définissons la tactique : avec quelles concurrentes faut-il voler pour aller le plus vite dans telles conditions météo? Les Australiennes sont-elles meilleures par très beau temps? Est-ce plutôt une météo à Allemandes ou à Tchèques? Autant de questions à se poser, surtout quand les écarts de points sont faibles en fin de championnat…

            

La première épreuve consiste en un circuit (un AST) de 171 km dans des conditions moyennes et nous tournons à 63 km/h de moyenne ce qui n’est pas si mal car nous faisons 7 et 10 sur 23 pilotes sur cette première course. Le lendemain nous partons pour un circuit de 180 km dans des conditions variables selon le secteur de vol : thermique pur au départ, cumulus culminant à 2000 m à l’Est, retour en thermique pur très technique à l’Ouest pour ensuite réaccélérer sur l’arrivée où les cumulus étaient bien alignés sur notre axe. La 3ème épreuve était un AAT (Assigned Area Task) de 2h qui consiste à virer dans des secteurs larges, ce qui laisse plus de liberté aux pilotes pour choisir leur zone de virage en fonction de la météo. Ces épreuves sont particulièrement stratégiques car les écarts de points peuvent se creuser si la masse d’air est hétérogène et que les pilotes font des choix très différents. Je tourne à 90 km/h et me classe 9ème sur cette épreuve, ce qui au général me place 6ème sur 23.

4ème épreuve : encore un AAT de 2h par conditions de vent d’Ouest très fort (40 km/h dans la couche convective) qui a favorisé la formation de rues de nuages dont nous avons bien profité pour voler vite tout en restant dans des zones ascendantes et donc au plafond de cumulus. Seulement, à la fin du vol, des étalements ont forcé toutes les pilotes à se vacher sauf une allemande qui rentre grâce à son choix au moment de l’arrivée. Je ne perds pas beaucoup de points car plus il y a de vaches lors d’une épreuve, plus le ratio points distance/points vitesse augmente. M’étant vachée à la fin, à 15 km du terrain, j’avais quand même emmagasiné pas mal de points sur cet AAT et me place 3ème au général. Les prévisions météo étant médiocres pour le lendemain, l’organisation décide d’annuler la journée du lendemain, ce qui nous permet de nous reposer car nous avons déjà accumulé beaucoup de fatigue sur les 4 première épreuves. Nous allons visiter Prague l’après-midi et rentrons tranquillement après cette belle excursion dans le chef lieu de la Bohème Centrale.

Le lendemain, nous réattaquons avec une course de 305 km sous un beau ciel de cumulus, plafond initialement à 1800 m montant jusqu’à 2100 m sur les reliefs, nous allons loin vers l’Ouest dans une région presque montagneuse avec un lac immense et de nombreuses forêts au-dessus de laquelle nous prenons soin de rester très haut. Les cumulus s’étalent sur la deuxième moitié du circuit et nous faisons le choix de rester hautes tout le temps pour éviter les basses couches qui sont très difficiles à exploiter ici… Bon choix puisque nous bouclons le circuit 70 km/h et faisons 7 et 8, ce qui me fait accéder à la 2ème place au général. Belle régularité pour ce début de championnat!

Le lendemain, circuit de 336 km, encore beaucoup de points en jeu : les prévisions sont optimistes, masse d’air instable, 2 à 3/8 de cumulus, plafonds à plus de 2000 m, bonnes ascendances mais une fois en l’air nous ratons le départ. Le ciel s’assèche en local, les ascendances faiblissent d’un coup et nous partons à deux 40 minutes derrière nos concurrentes, ce qui nous déphase complètement. Difficile de rattraper les paquets de planeurs qui sont loin devant, et après avoir frôlé plusieurs fois la vache, je rentre péniblement à 66 km/h alors que les autres tournent à 78 km/h… Je perds 300 points sur cette course mais rien n’est perdu, car si on perd 300 points on peut en gagner autant le lendemain!

Malheureusement, sur les 3 épreuves suivantes nous faisons des erreurs tactiques, nous n’arrivons pas à partir avec les autres ou à nous retrouver avant le départ, nous gérons mal un AAT d’1h30 et l’ascension si bien amorcée en début de championnat se transforme en chute progressive dans le classement jusqu’à la 13ème place.

              

Après une autre journée de repos vraiment nécessaire, avant-dernière épreuve, nous avons un circuit de 330 km à faire dans de bonnes conditions puisqu’au briefing ils annonçaient 2200 m de plafond et 2 à 3 octas de cumulus. Etant donnée que la fin de convection est toujours tôt, vers 17h30, nous devons passer la ligne de départ tôt aussi, idéalement avant 13h30. Cependant, en local avant de prendre le départ, nous subissons un voile d’altocumulus qui nous empêche de monter au-dessus de 1900 m et, face à la concurrence qui attendait toujours sans réussir à monter plus haut, nous décidons de partir toutes les deux, quitte à déclencher le départ des autres juste derrière nous et à devoir « tirer le paquet ». Il n’en fut rien, elles ne partent pas avec nous, ce qui nous arrange car à deux il est plus facile de centrer les ascendances thermiques -et ainsi bien monter- qu’à 15! Après ce départ un peu subit, nous arrivons sur le premier point de virage et prenons 3,5 m/s avant de virer, ce qui est optimal et nous plonge dans un bon rythme. Nous collons au plafond et restons haut, pour pouvoir toujours avoir du choix devant et anticiper les passages difficiles. Effectivement, nous devons rapidement nous dérouter pour éviter une petite zone aérienne interdite aux planeurs et nous perdons un peu de temps, mais les magnifiques bases de cumulus devant nous redonnent du rythme. Nous grimpons à l’ouest dans un 5 m/s jusqu’à 2550 m ce qui nous permet de virer confortablement et de repartir sur la deuxième moitié du circuit. Nous continuons à chercher les meilleures ascendances et à cheminer de notre mieux pour rester haut avant de virer le dernier point et mettre le cap sur l’arrivée. Sur la dernière branche, face au vent nous avançons doucement et une fois suffisamment haut, sur un plan de finesse 20, nous déclenchons l’arrivée. Nous prenons 150 km/h mais c’était une vitesse trop élevée car nous ne tenons pas le plan de finesse 20 avec le vent de face… Nous passons la ligne d’arrivée sur sa limite basse, Amélie se pose sans encombre dans un champ à 1,5 km du terrain par sécurité et je rentre au terrain de justesse mais en m’étant fait peur. Nous nous en sortons super bien sur cette épreuve à 1000 points en faisant 2 et 3 et récupérons pas mal de points.

Le lendemain, 12ème et dernière épreuve, belle météo annoncée avec du soleil, 2/8 de cumulus et des plafonds hauts, tous les ingrédients réunis pour voler vite! Nous partons sur un AAT de 3h, le départ est rapide car nous désirons profiter du maximum de convection entre 13h et 16h et nous ne voulons pas rentrer après la fin de convection. Nous volons sous des alignements de cumulus entre 1800m et 2000m d’altitude sous lesquels nous pouvons monter à 3 m/s en ligne droite sans besoin de spiraler, l’idéal pour augmenter la vitesse moyenne! Le premier secteur à l’ouest n’est pas fameux, nous virons court et nous mettons vite le cap à l’Est car les reliefs en Moravie génèrent des ascendances puissantes et le plafond y est plus haut. Nous sommes en tête d’un paquet de 6-7 planeurs et avons la main jusqu’à la fin du vol, les autres pilotes nous suivent. Le deuxième secteur est atomique, avec une rue de cumulus donnant du 5 m/s, nous saisissons cette opportunité de monter haut et vite pour larguer un peu les autres. Nous décidons ensuite de virer la partie Sud Est du dernier secteur tandis que les autres mettent le cap au Nord, nous faisons ainsi plus de distance en volant tout aussi vite. Etant donné qu’on monte jusqu’à 2500 m, l’arrivée est rapide et nous sommes cette fois-ci un peu trop haut sur le plan ce qui nous permet de voler à 220 km/h ! Nous remportons cette dernière épreuve haut la main, ce qui clôt ce championnat en beauté car nous avons fait notre vol tout en nous faisant plaisir, sans pression car il n’y avait plus rien à perdre…

Des résultats prometteurs !

Nous sommes heureuses d’avoir participé à autant d’épreuves et surtout d’avoir tenu sur la durée, car chaque jour de vol est long, intense et fatiguant. Nous étions toutes exténuées sur la fin et pourtant on a réussi à donner le meilleur jusqu’au bout.

Après 12 épreuves sur 13 possibles, la France est 1ère par équipes et Aude Grangeray ramène la médaille d’or en classe « standard » pour la deuxième fois consécutive tandis que Anne Ducarouge remporte le bronze en classe « 18m » !

En bref, un superbe championnat, de très beaux vols dans des conditions météo variées de thermique pur/cumulus/étalements/voiles de cirrus, donc intéressantes et parfois très techniques, et ce dans un pays aux paysages magnifiques de reliefs, de lacs et de forêts…

Une expérience également très forte humainement, car la préparation quotidienne des vols nécessite un travail d’équipe et une entraide considérables au sol. Je remercie donc les équipiers qui nous ont accompagnées et aidées tout au long du championnat, notamment Daniel Gervais qui s’occupait soigneusement du Hornet ainsi que notre entraineur Benjamin Néglais qui nous a coachées bien en amont du mondial en plus de tous ses conseils au sol et en vol durant 3 semaines !

Merci à la Fédération Française de Vol à Voile et aux mécano/techniciens du Pôle France pour le soutien matériel et technique, c’est une chance inouïe de voler sur des machines aussi bien entretenues et performantes.

Merci également au Département de Géosciences de l’Ecole Normale Supérieure pour leur flexibilité au regard des entraînements de vol à voile et pour le soutien financier qui m’a permis de participer sereinement à ce mondial. Je remercie aussi Bjorn Stevens, mon maître de stage au Max Planck Institue for Météorologie, de m’avoir accordé ces semaines pour participer au mondial.

J’espère pouvoir encore participer à l’aventure lors du prochain championnat du monde féminin qui se déroulera à Lake Keepit en Australie, en novembre 2019 !

N’hésitez pas à commenter ou à poser toutes vos questions, je serais ravie d’y répondre et de vous parler du vol à voile, des compétitions ou de la météorologie !