Damien Deldicque, médaillé du CNRS : portrait

Damien Deldicque, médaillé du CNRS : portrait

Damien Deldicque, assistant-ingénieur au Laboratoire de Géologie de l’ENS, vient de se voir attribuer la prestigieuse médaille de cristal du CNRS. Celle-ci distingue chaque année des personnels d’appui à la recherche, qui par leur créativité, leur maîtrise technique et leur sens de l’innovation, contribuent à l’avancée des savoirs et à l’excellence de la recherche française. Cette médaille de cristal couronne donc l’activité remarquable de Damien.

Voici le portrait d’un jeune ingénieur passionné, brossé par Jean-Noël Rouzaud*, ancien responsable de la thématique Carbones naturels et anthropiques du LG-ENS. Il dit de Damien qu’il « est [s]on fils spirituel. Il a développé et amplifié les travaux que nous avons initiés ensemble grâce à sa grande créativité et ses compétences propres exceptionnelles. ».

Damien Deldicque est responsable depuis 2011 de la plateforme analytique du laboratoire. De sa propre initiative, il élargit rapidement la palette de ses compétences en maîtrisant d’autres techniques, et tout particulièrement la microspectroscopie Raman. Il travaille quotidiennement avec des chercheurs et étudiants du laboratoire.

Il s’implique directement dans la thématique « matériaux carbonés » du laboratoire. Il travaille sur des échantillons extraordinaires (météorites, roches-mère de pétrole, graphites nucléaires irradiés). Pour cela, il participe activement à une approche originale fondée sur l’analyse d’objets complexes en couplant différentes techniques sur des zones de taille micrométrique et sur une validation par des analogues expérimentaux.

Cartographie élémentaire du Ca dans une météorite d’origine martienne
© Damien Deldicque

Il choisit de se focaliser sur les spectres Raman des carbones désordonnés, encore peu étudiés quantitativement. C’est lui qui découvre en premier les paramètres Raman pertinents capables de décrire l’évolution nanostructurale de précurseurs organiques soumis au seul effet de la température entre 400 et 1 400 °C (domaine de la carbonisation). Il publie sa méthode originale de paléothermométrie Raman, spécifique à la carbonisation (Carbon, 2016).

Une des illustrations les plus remarquables est la détermination des températures atteintes lors de l’incendie de la Cathédrale de Notre-Dame de Paris. Il utilise les charbons de bois de chêne de la charpente qu’il a pu prélever après l’incendie comme des thermocouples fossiles. Il a ainsi pu déterminer de façon fiable les températures maximales (jusqu’à 1 200 °C) auxquelles ont été soumises différentes parties de l’édifice. Sa publication dans les Comptes Rendus Géoscience (2020) est le premier article scientifique paru sur cet incendie.

La motivation première des travaux de Damien était de mettre en évidence et de caractériser des traces de feux dans la grotte paléolithique de Chauvet, datée de 36 000 ans. Il aura le privilège d’être un des rares scientifiques à être agréé pour entrer dans cette cathédrale préhistorique. Sa paléothermométrie Raman y sera validée (Carbon, 2016). Damien devient ainsi un spécialiste reconnu en archéométrie dans la caractérisation des traces de feu. Il est immédiatement impliqué dans l’étude de la grotte de Bruniquel. Grâce à un couplage très astucieux Raman-MEB (imagerie avec analyse élémentaire), il a pu détecter des carbonisats d’os, donc d’origine anthropique, au sein du plus ancien aménagement de grotte connu, dus à l’Homme de Néandertal et daté de 175 000 ans (publication exceptionnelle dans Nature en 2016).

Grotte Chauvet
© Damien Deldicque

Aujourd’hui, il s’attaque à des assemblages de micro-charbons de bois et minéraux magnétiques qu’il détecte dans des sédiments de la grotte préhistorique de la Caune de l’Arago, à Tautavel. Pour cela, il a étendu ses compétences Raman aux minéraux magnétiques et suit l’évolution de leurs propriétés magnétiques en fonction de la température. Ce couplage extrêmement original lui permet de mettre en évidence des traces de feu estimées à 560 000 ans.

Initialement dédiée à l’archéométrie, il a su adapter sa thermométrie Raman à d’autres sujets de géosciences comme la mécanique des roches. Il a l’idée de déposer une nano-couche de carbone amorphe sur une faille sismique expérimentale et d’utiliser le fait qu’elle se carbonise sous l’effet de la chaleur dégagée lors d’un séisme simulé en laboratoire. Il a pu remonter de façon extrêmement astucieuse aux températures atteintes sur le miroir de faille (Geophysical Research Letters, 2018). Ses données expérimentales originales sont essentielles pour alimenter les modélisations de tremblements de terre.

Antigorite vue au MEB (à droite, fondue après une tremblement de terre en laboratoire)
© Damien Deldicque

Damien Deldicque est un scientifique de talent, un expérimentateur hors pair, particulièrement curieux et créatif, ouvert et passionné, doté d’un esprit critique extrêmement positif. Il sait déceler les problèmes passionnants de géosciences et imaginer et mettre en œuvre des réponses expérimentales originales et pertinentes. Il bouillonne d’idées pour de nouvelles aventures scientifiques, notamment en vulcanologie.

S’il a su bénéficier de cet espace exceptionnel de créativité et de liberté scientifique du laboratoire de Géologie de l’ENS, il contribue aujourd’hui grandement à la réputation internationale de son laboratoire. En moins de 10 ans, à 36 ans, Damien Deldicque est devenu un expert reconnu en caractérisation des matériaux dédiée à l’archéométrie et aux géosciences. Son expertise est reconnue internationalement, comme en témoigne son impressionnante liste de collaborations et de publications (plus de 40 articles en 8 ans).

Son parcours remarquable montre comment un jeune scientifique passionné et déterminé, placé dans un bon environnement scientifique et humain, peut accéder à une reconnaissance justifiée qui lui fait honneur mais aussi à l’excellence de notre recherche publique. C’est assurément un exemple à suivre qui contribue à donner envie aux jeunes qui veulent se lancer dans la recherche scientifique.

À lire aussi

• Sur le site de l’ENS : Faire parler les charbons de bois témoins de l’incendie de Notre-Dame
• Sur le site de l’INSU : Les charbons de bois de Notre-Dame : des thermomètres de l’incendie

Extrait de bibliographie

• Deldicque, D., Rouzaud, J.N. Temperatures reached by the roof structure of Notre-Dame de Paris in the fire of April 15th 2019 determined by Raman paleothermometry. Comptes Rendus Geoscience, Académie des sciences, 2020.

• J.Aubry, F.X.Passelègue, D.Deldicque, F.Girault, S.Marty, A.Lahfid, H.S.Bhat, J.Escartin, A.Schubnel. Frictional heating processes and energy budget during laboratory earthquakes. Geophysical Research Letters, 2018.

• Damien Deldicque, Jean-Noël Rouzaud, Bruce Velde. A Raman – HRTEM study of the carbonization of wood: A new Raman-based paleothermometer dedicated to archaeometry. Carbon, 2016.

• Jacques Jaubert, Sophie Verheyden, Dominique Genty, Michel Soulier, Hai Cheng, Dominique Blamart, Christian Burlet, Hubert Camus, Serge Delaby, Damien Deldicque, R. Lawrence Edwards, Catherine Ferrier, François Lacrampe-Cuyaubère, François Lévêque, Frédéric Maksud, Pascal Mora, Xavier Muth, Édouard Régnier, Jean-Noël Rouzaud & Frédéric Santos. Early Neanderthal constructions deep in Bruniquel Cave in southwestern France. Nature, 2016.

*Jean-Noël Rouzaud est Directeur de Recherche CNRS de classe exceptionnelle, responsable de la thématique « Carbones naturels et anthropiques » du LG-ENS de 2004 à 2016 – il a reçu le Grand Prix Tissot de l’Académie des Sciences en 2014