Transferts d’énergie sur Jupiter

Transferts d’énergie sur Jupiter

À la tête d’un groupe international, Lia Siegelman (Scripps) et Patrice Klein, chercheur émérite au LMD, montrent dans Nature Physics que la convection humide entraîne un transfert d’énergie à grande échelle aux hautes latitudes joviennes.

Fig. 1 | Image infrarouge du pôle Nord de Jupiter. Le cercle pointillé à 80°N est à environ 12 000 km du pôle. La région analysée dans le papier (rectangle noir) comprend le cyclone polaire, une partie des cyclones circumpolaires et deux plus petits anticyclones (éléments noirs reliés entre eux).

L’atmosphère de Jupiter est l’un des endroits les plus turbulents du système solaire. Alors que les observations d’éclairs et d’orages suggèrent que la convection humide est une source d’énergie à petite échelle pour les tourbillons et les jets zonaux à grande échelle de Jupiter, cela n’a jamais été démontré en raison de la faible résolution spatiale des observations d’avant 2016. Depuis cette date, la sonde spatiale JUNO de la NASA envoie sur Terre des images de Jupiter d’une qualité exceptionnelle et inégalée (pixel de 10 km) et en particulier des pôles de cette planète gazeuse géante qui n’avaient jamais été survolés. Ces images, dans le spectre infrarouge et visible, révèlent une densité contrastée de nuages d’ammonium, constituée de régions de nuages minces où il est possible de voir l’intérieur très chaud de Jupiter, et donc correspondant à des températures chaudes, et de nuages épais correspondant à des températures froides (Figure 1). L’organisation spatiale de ces nuages révèle la signature d’une multitude de tourbillons et filaments de différentes tailles allant de 50 km jusqu’à un cluster remarquable de grands cyclones circumpolaires (5000 km de diamètre) entourant un cyclone polaire.

Ces images ont fourni à un groupe international constitué de chercheurs français, italiens et américains – océanographes physiciens et physiciens des planètes – la matière d’une nouvelle étude publiée aujourd’hui dans la revue Nature Physics dont le premier auteur est Lia Siegelman. Lia et ses co-auteurs ont eu l’idée d’extraire la dynamique associée à ces nuages en les interprétant en termes d’épaisseur optique qu’ils ont reliés à la dénivellation de la tropopause. Ils se sont ensuite appuyés sur une méthode de dynamique des fluides géophysiques, actuellement utilisée en océanographie, pour quantifier les mouvements associés à la multitude de tourbillons présents sur ces images infrarouges et visibles. Un des résultats remarquables est la carte de vorticité relative (un index associé au spin des tourbillons, cf Figure 2) qui indique que la période de rotation des tourbillons, en particulier ceux de tailles intermédiaires, est similaire à celle de Jupiter (~9h). Les chercheurs ont ensuite pu relier l’énergie cinétique associée à ces tourbillons à l’énergie associée à la convection dans les nuages d’ammonium, elle-même estimée à partir de profils verticaux moyens de température obtenus par d’autres missions spatiales. Lia et ses co-auteurs en ont déduit que les nuages (de 50 à 100 km de diamètre) créent des petits tourbillons qui eux-mêmes fusionnent pour former des tourbillons de plus en plus grands jusqu’aux grands cyclones, notamment les cyclones circumpolaires et le cyclone polaire.

Fig. 2 | Contexte dynamique. (a) Mosaïque de l’anomalie d’épaisseur optique, dérivée directement des observations infrarouges. (b) Vorticité à grande échelle (supérieures à 1 600 km), dérivée des mesures de vent. (c) Vorticité à petite échelle (inférieures à 1 600 km), dérivée de (a), qui est la signature de la convection nuageuse. Les tourbillons à grande échelle (en b) gagnent leur énergie à partir des tourbillons à petite échelle (en c) par l’intermédiaire d’un mouvement ascendant.

Il ressort de l’étude de Siegelman et al. que l’ensemble des nuages et tourbillons de différentes tailles constitue les éléments d’une route de l’énergie à travers laquelle la chaleur dans l’intérieur de Jupiter est transférée vers les couches froides supérieures où elle est convertie en énergie cinétique qui entretient les grands cyclones circumpolaires.

  • Lia Siegelman est océanographe physicienne, actuellement chercheuse postdoctorale à la Scripps Institution of Oceanography à San Diego (USA) où elle travaille en collaboration avec le professeur William Young.
  • Patrice Klein est chercheur émérite CNRS au Laboratoire de Météorologie Dynamique (ENS, Paris) et également visiting scientist à Caltech/JPL à Pasadena (USA) dans le cadre de la mission spatiale franco-américaine SWOT.

En savoir plus
Moist convection drives an upscale energy transfer at Jovian high latitudes
Lia Siegelman, Patrice Klein et al.
Nature Physics (January 2022)
DOI: 10.1038/s41567-021-01458-y